Catherine Deschamps présentera ses travaux de recherche à travers une communication intitulée : « Le fait sexuel : bribes ». Cette communication sera suivie de débats scientifiques.

Chercheure sous contrat (convention Sidaction — Université Paris Ouest – Nanterre – La Défense) au Soφapol, EC à l’Ecole d’Architecture de Paris Val-de-Seine, Catherine Deschamps est en train de finaliser la préparation de son HDR dont la soutenance est prévue en février 2012.

Date:
Vendredi 28 octobre 2011, 17h-19h

Lieu:
Université Paris Ouest Nanterre La Défense
bâtiment T, rez-de-chaussée, salle R11
Comment venir ? par le train et le RER
Plan du campus de Paris Ouest Nanterre La Défense

 

Programme détaillé de la séance :

1 – Rapide tour de table de présentation des participants (chacun indique son ou ses terrain(s) d’investigation actuel(s)).

2 – Précisions sur la mise en place de la nouvelle recherche collective “CORSAC”

3 – présentation de la communication de Catherine Deschamps « Le fait sexuel : bribes »  – vous en trouverez le canevas ci-dessous.

4 – débats scientifiques à partir de cette communication.

5 – questions diverses.

 

La présentation du séminaire Lasco/Sophiapol de l’année 2011-2012 peut être consultée sur le site de l’Université Paris Ouest Nanterre.

 

Présentation de la communication de Catherine Deschamps:

 Le fait sexuel : bribes

Que peut-on entendre par sociologie de la sexualité, quels types d’études regroupe-t-elle à ce jour et avec quels autres champs de la sociologie entretient-elle des rapports de proximité ou de tension ? C’est principalement autour de deux de ces champs, la santé et l’espace, que ces questions seront abordées et discutées. Une attention particulière sera portée au dispositif de contrôle des femmes et des hommes dans l’espace.

La santé : de l’urgence à la chronicisation

J’ai commencé à travailler sur la sexualité dans un contexte d’urgence dicté par le sida, en l’absence, jusqu’au milieu des années 1990, de traitements efficaces pour retarder sensiblement l’échéance de la mort ; cette première période était également celle de la forte visibilité de corps jeunes détériorés dans les grandes villes, notamment à Paris. Progressivement, au fil des années suivantes, le VIH est devenu une maladie chronique, les stigmates physiques se donnant beaucoup moins à voir dans l’espace extérieur, espace public, accessible à tous les regards. Alors que les recherches sur la sexualité en sociologie étaient d’abord regardées avec suspicion dans l’académie (cette suspicion demeure partiellement), elles bénéficiaient pourtant d’une manne financière atypique, contribuant au développement de « carrières » de sociologues à côté de l’institution mais inscrites dans la durée, et obligeant à des réflexions poussées sur l’éthique de la recherche. Ce redéploiement des travaux scientifiques sur la sexualité dans un contexte pandémique s’est accompagné, dans les médias, d’un accroissement sensible des discours sur la sexualité. Les pratiques, en retour, paraissaient toujours aussi peu connues voire, pour certains chercheurs, soit insaisissables, soit hors objet de la sociologie.

Le déplacement du sida, du statut de maladie mortelle à celui de maladie chronique, participe d’un glissement des représentations et des gestions de la santé dans les pays occidentaux. Dans les grandes lignes, l’histoire courte de l’épidémie à VIH illustre le passage d’un droit à la santé pour tous à une responsabilisation des individus face à leur état de santé. Il est ici affaire de l’inscription particulière d’une maladie dans une idéologie néolibérale qui la dépasse, et dont les acteurs de prévention ou les militants n’ont pas forcément eu conscience. C’est en quelque sorte le prix de la non-mort contemporaine. Au-delà du sida, les mouvements pour l’autonomie et l’émancipation, les encouragements à l’empowerment, la mise en valeur des performances individuelles, des « dépassements de soi », peuvent être vus comme accompagnant ce changement de paradigme autour de la santé. Les « militants sida » se sont-ils alors fait berner en confortant un modèle de dé-collectivisation ? Et les « sociologues es sida », qui au début de l’épidémie ont également souvent été militants, ont-ils eux aussi contribué à ce changement ?

Sans que les réponses soient définitives, le recours extrêmement fréquent aux interactionnistes, jusque dans le milieu des années 1990 au moins, peut se lire comme un indice d’adhésion involontaire à une idéologie de plus en plus tournée vers le néolibéralisme. Si l’hypothèse tient, reste à comprendre comment le néolibéralisme appliqué au marché et le néolibéralisme appliqué à la subjectivation se sont articulés.

L’espace : de la matière aux arènes

Les tensions entre visibilité et invisibilité, et entre attention à l’exceptionnel ou à l’ordinaire, sont centrales dans les travaux sur la sexualité. En ce que la sexualité se dessine à la fois comme un objet tentaculaire et comme un objet difficile d’accès (ce qui ne lui est pas forcément spécifique), elle pose la question de l’espace d’une façon singulière, un espace parfois étrangement fuyant dans sa matérialité, mais surabondant dès lors qu’on lui reconnaît une dimension médiatique. Que les entretiens en face à face soient souvent préférés aux observations in situ en est un symptôme ; et que la sexualité soit encore peu analysée par rapport au territoire, aux spatialités et aux lieux en est un autre. Pourtant, même lors des entretiens, l’espace et le lieu où se tient la rencontre interviennent dans la teneur des propos recueillis. De même, si le lieu est aussi les étendus de l’écrit, se couchent sur les pages ou dans les textos d’autres appréhensions encore de ce que pourrait être la sexualité. La subjectivité du chercheur participe toujours à quelque chose dans l’énoncé de ses interlocuteurs, mais au même chercheur, un même individu pourra proposer des pièces différentes de son puzzle sexuel selon l’espace et le lieu. Par la description des méthodologies le plus souvent adoptées autour de la sexualité en sociologie, et par la projection de ce que pourraient pourtant apporter l’adoption d’autres méthodes, il s’agit de tenter d’éclairer les actuelles zones d’ombres de la sexualité.

Mais l’espace doit aussi être abordé au plus près du terrain, un espace tant physique que politique. En l’occurrence, il s’agit à la fois d’identifier ce qui permet de comprendre les écarts de discours, et ce qui permet de comprendre les écarts dans les usages sexualisés et désirants des lieux. En la matière, les différentes recherches que j’ai conduites commencent à dessiner un dispositif de contrôle des hommes et des femmes dans l’espace. Des femmes prostituées qui privatisent de facto leur bout de trottoir lorsque la définition du territoire de leurs confrères reste plus floue et étendue, à la probabilité forte que, dès lors que des femmes sont investies, les rapports sexuels se passent plus souvent en intérieur qu’à l’extérieur, se montre l’épaisseur d’une division de genre dans les autorisations d’usage des espaces publics ou privés. Une division et des inégalités spatiales de genre d’autant plus insidieuses qu’elles sont un quasi no man’s land d’investigations sociologiques. Des problématiques au croisement de la sexualité, du genre et de l’espace physique permettraient pourtant sans doute d’affiner une de mes hypothèses, celle qu’en matière d’expression des désirs, l’espace des anonymes, souvent extérieur, et l’espace des proches, souvent intérieur, sont des antidotes urbaines l’un de l’autre. Car des mêmes femmes rencontrées évoquent à la fois leur sentiment de moindre contrôle et de plus grande liberté dans les espaces d’anonymat, et pourtant leur appréciation du sentiment de confort et de sécurité, fussent-ils disciplinaires, de certains cercles choisis.

La médiatisation de certains faits divers, la répétition de certains scénarios, les traitements policiers et justiciers de la récidive concernant les atteintes aux personnes, renforcent encore le dispositif de contrôle spatial des femmes et des hommes. In fine, le paradoxe est le suivant : les espaces publics sont signifiés comme les plus dangereux pour les femmes alors que c’est pourtant dans les espaces privés que les statistiques montrent qu’elles encourent le plus de dangers ; ces mêmes espaces publics ne sont pas présentés comme risqués pour les hommes, alors que c’est à l’extérieur qu’ils encourent le plus de probabilité d’une atteinte à leur intégrité physique.  

Conclusion

En conclusion, trois positions sont affirmées :
– la sexualité relève du sacré ;
– elle n’est pas seulement une construction sociale, elle porte le social ;
– enfin, il y a urgence à l’aborder en cessant de la morceler.

 

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